En début d’automne 2025, la période optimale de la végétation est dépassée, les cortèges floristiques dépérissent lentement, mais cela n’empêche pas les botanistes-pédologues d’aller encore expertiser sur le terrain. Avec certes moins d’entrain, car les précipitations en régime d’averses, les matinées fraîches et les températures automnales sont déjà arrivées.
C’est lors d’une de ces dernières sorties de l’année, dédiée à la délimitation et à la caractérisation de zones humides que notre botaniste Damien PALET a eu la surprise d’observer une petite population de Jonc strié (Juncus striatus) au cœur d’une zone humide, partiellement dégradée par une ancienne peupleraie clairsemée.

Le Jonc strié est un taxon ouest-méditerranéen, exceptionnel en Nouvelle-Aquitaine et rare au niveau national. Les populations de la façade atlantique se trouvent en situation d’isolat, assez éloignées et déconnectées de ses bastions méditerranéens. L’espèce est sensiblement plus courante sur la façade méditerranéenne, du littoral à légèrement dans les terres, principalement dans des secteurs sous influence neutro-basiphile.
Les populations occidentales de Poitou-Charentes sont circonscrites à une zone allant de La Rochelle à Niort, et de Saintes à Villefagnan. Il est possible d’observer ce jonc en période estivale, période la plus optimale des communautés végétales des milieux hygrophiles, dans le sud des Deux-Sèvres (une ligne au sud de Niort et Lezay), sur la façade occidentale de la Charente, dans le secteur entre Cognac et Villefagnan, et dans la partie nord de la Charente-Maritime (au-dessus de Saintes et Rochefort), mais jamais dans le dernier des 4 départements de l’ex-région Poitou-Charentes, la Vienne.

L’espèce n’a jamais été notée historiquement ou récemment dans ce territoire. En fidèle passionné, Damien avait analysé des indicateurs biogéographiques qui laissaient espérer la possible présence de ce taxon dans la Vienne, ou tout au moins dans la partie sud-ouest du département, non loin des mentions historiques et récentes des Deux-Sèvres, correspondant aux stations les plus continentales. Cela se vérifie finalement avec la découverte d’une station sur la commune de Vivonne, à plus de 25 km vers le nord-est de la station connue la plus proche de Sainte-Soline (79) [DSNE et SBCO, 2023].
Le Jonc strié (Juncus striatus) est une espèce protégée au niveau régional (Poitou-Charentes) et considérée comme quasi-menacée (NT) sur la liste rouge régionale. Il apprécie les sols tassés des prairies inondables et des pelouses amphibies oligo- à mésotrophiles sur substrat assez filtrant comme les sables, graviers et alluvions. Cette joncacée se distingue des autres espèces du même genre par ses feuilles noueuses-cloisonnées, à rhizome traçant et robuste. Ses tiges et feuilles sont nettement striées et rugueuses au touché. Elle s’accompagne d’une inflorescence plus ou moins fournie et peu étalée avec des glomérules compacts à 8-30 fleurs. Les tépales brun-fauve sont assez grands (4 mm) et fortement acuminés. Les fruits sont très longuement prolongés en bec effilé.

Quelle conclusion en tirer ?
Il est toujours judicieux d’envoyer sur le terrain des profils professionnels jonglant entre des compétences pédologiques impérativement associées à des connaissances botaniques. Sans quoi, d’après notre expérience, il nous semble assez difficile de délimiter et caractériser rigoureusement les zones humides.
Ce constat s’applique d’autant plus dans une période saisonnière aux inflorescences fatiguées : les critères de détermination visibles en période optimale de floraison et de fructification se font beaucoup plus rares, complexifiant la détermination et augmentant le risque d’erreur d’identification, et par conséquent des possibles enjeux écologiques associés.
Il n’y a donc finalement pas de bonnes ou de mauvaises périodes pour recenser des espèces à enjeux quand on a l’œil rigoureux tourné vers les différences ! On pourra d’ailleurs toujours revenir à la période optimale pour confirmer !
Nous nous excusons pour la qualité des photos in situ qui ne sont vraiment pas bonnes, du fait d’une météo pluvieuse le jour de la découverte et des mains du photographes pleines de boue à cause des nombreux sondages pédologiques réalisées. Mais cela n’entache pas cette belle découverte !